
L'histoire du rugby
La soule
Au moyen âge en France (Picardie, Normandie et Bretagne) et en Angleterre, un jeu très populaire, la soule, opposait les habitants de plusieurs villages entre eux.
La soule était une vessie de porc ou de boeuf, huilée simplement ou recouverte de cuir. Cette vessie, de trente centimètres de diamètre environ, pouvait être gonflée, composée de paille, de son, de mousse ou de foin comprimé.
Le principe de ce jeu était d'amener, par tous les moyens possibles, cette soule dans un lieu précis (généralement son village). L'aire de jeu pouvait être la route reliant les deux villages ou les champs séparant les deux cités. Ce jeu pouvait également se jouer dans de grandes villes auquel cas l'aire de jeu choisie était une vaste partie dégagée de la cité (grandes avenues ou même cimetières).
Le nombre de participants était illimité et l'absence de règles rendait ce jeu très violent. Tous les coups étaient permis, et c'était, dit-on, la meilleure façon de se débarrasser discrètement d'un ennemi.
D'ailleurs, les descriptions de l'époque étaient terrifiantes :
"Quand le jeu se termine, vous les voyez rentrer chez eux comme d'une bataille rangée, avec des têtes sanglantes, des os brisés et déboîtés, et des coups de nature à raccourcir leurs jours".
Rapidement, les désordres occasionnés par ces parties les rendirent naturellement illégales aussi bien en France qu'en Angleterre.
Ainsi, en Angleterre, le 13 avril 1314, Nicholas de Farndorne, Maire de Londres proclame :
"En raison des grands désordres causés dans la cité par ces rageries, (...) nous condamnons et interdisons au nom du Roi, sous peine d'emprisonnement, qu'à l'avenir ce jeu soit pratiqué dans la cité."
En France, Philippe V proscrit la soule par un édit en 1315...
Mais devant le succès populaire de ce jeu, toutes ces interdictions n'aboutirent absolument à rien. Pire : Henri II (1547-1589) dispute lui-même une partie de soule contre des gentilshommes (parmi lesquels le poète Ronsard ...).
Cependant, en Angleterre, vers la fin du XVIIIème siècle, ce sport médiéval, rude et confus, est loin de convenir aux cours dallées des anglais. C'est pourquoi ils imposent la propulsion du ballon avec seulement les pieds. On lui accorde dès lors une place de choix dans les écoles pour sa valeur formatrice et canalisatrice de violence : le football était né...
W. Webb Ellis
William Webb Ellis, boursier de 15 ans, qui se destine à être Pasteur, dispute avec ses camarades une partie de football... Celui-ci, alors qu'il jouait à l'arrière, aperçoit le ballon, s'en saisit, le sert fort contre son cœur et court vers la ligne de but adverse...
Au bout de cette course folle (les sentimentaux racontent qu'il tenait si fort la balle entre ses bras que le ballon en serait devenu...ovale) est né un sport : le Rugby !
En ce mois de novembre 1823, William et ses camarades ne sont pas du tout conscients des répercutions que cette course anodine aurait sur l'histoire du sport en général et sur celle du rugby en particulier (et pour cause !)... la ville de Rugby où s'est déroulé ce match non plus.
Pourtant, ce geste n'avait rien de sportif mais s'apparentait plutôt à de la triche et à de l'individualisme. Ce fait est d'ailleurs précisé par beaucoup de fédérations Nationales de Rugby (dont celle de la France) qui précisent que ce comportement se situe justement à l'opposé des valeurs que cultive le Rugby ... Un geste qui ne colle pas avec les valeurs d'abnégation, de collectivité, de sacrifice de soi-même que l'on attribue normalement à ce sport.
Quoiqu'il en soit, William Webb Ellis passera à la postérité et est toujours considéré aujourd'hui comme "l'inventeur" du Rugby. Pourtant il n'en fera, lui-même, que peu de cas : lorsqu'il meurt à Menton, en 1872, après une carrière "pastorale" très discrète, il n'imagine toujours pas qu'il avait accompli ce jour là un geste qui serait considéré comme "historique"... D'ailleurs, il meurt dans le plus total anonymat : on ne retrouvera sa tombe qu'en 1959.
Aujourd'hui, sur une pierre dans son collège, on peut lire :
"Cette pierre commémore l'exploit de William Webb Ellis, qui avec un joli mépris pour les règles du football telles qu'elles étaient jouées à son époque, le premier prit la balle dans ses bras et courut avec, ce qui donna naissance à la caractéristique distinctive du jeu de rugby. AD. 1823"
Quand à la ville de Rugby, elle restera à jamais le bastion du sport qui portera à jamais son nom, mais pas seulement à ce titre. A cette époque, un cordonnier installé non loin du collège avait pour habitude d'aller acheter des vessies de porc qu'il entourait de 4 lamelles de cuir pour que les jeunes puissent exercer leur sport favori. Ce cordonnier restera lui aussi dans la légende : il s'agissait en effet de William Gilbert...
L'après W. Webb Ellis
Malgré l'année 1823 et la légende Webb Ellis, le rugby naît vraiment en 1846 avec l'ébauche des premières règles.
En 1846, un comité constitué des meilleurs joueurs du Collège de Rugby se réunit en effet le 7 septembre afin de préciser quelques éléments du jeu permettant de distinguer le rugby du football. La règle du hors-jeu serait d'ailleurs née ce jour là.
Le hors-jeu est une des règles fondamentales du rugby. Elle consiste à toujours se situer "derrière" le ballon, face à l'adversaire afin ne pas gêner la construction de l'attaque (ou l'organisation de la défense) de ce dernier.
Trois ans auparavant, en 1843, le premier club de rugby avait été fondé : le Guy's Hospital.
En 1870, la vessie de porc sera remplacée par une vessie en caoutchouc.
En 1871, les 59 règles du rugby furent adoptées par tous. Une de ces règles disait qu'un joueur pouvait attraper la balle, courir avec et la passer à un autre joueur. La règle du hors-jeu est définitivement établie. La mêlée demeure la base même du jeu. Le rugby est définitivement né cette année là.
En 1871, toujours, le 26 janvier, la Rugby Union of England est créée. La même année se dispute le premier match "international" entre l'Écosse et l'Angleterre.
Six ans plus tard, en 1877, le nombre de joueurs par équipes fut ramené de vingt à quinze. Le ballon, alors rond, devient ovale (pour mieux épouser la forme du buste durant la course).
En 1877, cela faisait cinq ans que le rugby avait débarqué en France...
L'arrivée en France
Contrairement à l'idée reçue que le Rugby est d'abord arrivé en France en longeant les rives de la Garonne, le premier club français à accueillir le rugby fut le Havre Athlétique Club en... 1872 !
Depuis quelques années, en effet, les marins britaniques en escale au Havre (et dans les autres ports) avaient pour habitude de jouer à ce jeu pour se défouler. Ce n'est donc pas étonnant que la première création ait eu lieu dans un port du "Channel".
Quelques mois plus tard, toujours en 1872, est créé le premier club parisien : The English Taylors Club, un club fondé (encore) par des britaniques. Ce club fera, par la suite, place à deux clubs mythiques parisiens : le Racing Club de France et le stade Français fondés par des lycéens au début des années 1880.
En 1885, le Sud-ouest accueille son premier club à Bordeaux : le S.B.U.C. (Stade Bordelais Union Club) est né. C'est le quatrième club (le club des tailleurs anglais a disparu) à apparaître dans l'hexagone (2 à Paris, 1 au Havre et 1 à Bordeaux).
Entre 1885 et 1900, neuf autres clubs seront fondés (dont le Stade Toulousain !).
Entre-temps, en 1892, le 20 mars, s'est déroulée la première finale du Championnat de France. Ce match était arbitré par un certain... Pierre de Coubertin !
Un autre arbitre, Charles Brennus, restera dans l'histoire du rugby français grâce au bouclier qui porte son nom. Ce bouclier est remis, chaque année, au vainqueur du championnat de France. On dit que le prestigieux trophée porte son nom car c'est lui qui l'aurait gravé, mais il semblerait néanmoins que ce bouclier fut essentiellement œuvre du Baron...
Quoiqu'il en soit, cette première finale opposera le Racing Club de France au Stade Français et vit la victoire du Racing (4 à 3).
Jusqu'à la fin du siècle, le championnat de France sera dominé de haute volée par les clubs parisiens avec notamment 5 titres pour le Stade Français. À cela rien d'étonnant : ce championnat de France était alors organisé par des Parisiens pour des Parisiens et aucune équipe provinciale n'y était invitée !
Les clubs provinciaux disputent eux, une sorte de championnat de provinces. Il est assez marrant, et révélateur de l'état d'esprit de l'époque, de constater que le championnat parisien était appelé championnat de France et que le championnat provincial demeurait le "championnat provincial"...
En 1899, le championnat est enfin ouvert aux clubs provinciaux... ou, du moins, à son meilleur club : les organisateurs décidèrent, en effet, d'organiser la finale du championnat de France entre le champion de Paris et le champion provincial.
C'est ainsi que, cette année là, les Bordelais du Stade Bordelais mettent fin au règne des parisiens en battant en finale le Stade Français par 5 à 3. Belle reconnaissance pour le Sud-ouest qui se morfondait jusqu'alors en attendant que l'on daigne de s'interesser à lui !
En 1906 aura lieu le premier match international pour la France. Un France-Nouvelle Zélande est en effet organisé pour la première fois à Paris le 1er janvier de cette année là.
En 1910, a lieu le premier Tournoi des V Nations (il deviendra le Tournoi des 6 Nations en 2000) : les Français rejoignent enfin, sur invitation des nations Britaniques, l'Angleterre, l'Écosse, l'Irlande et le Pays de Galles.
Il faudra pourtant attendre bien des années pour que le XV de France passe du statut d'apprenti au statut d'équipe à part, capable de développer son propre jeu.
De son côté, en 1910, le Championnat de France est bien lancé. Peu à peu, les équipes provinciales ont étouffé le géant parisien du Stade Français. Entre 1899 et 1914, à la veille de la Grande Guerre, le stade Bordelais aura remporté sept titres, le FC Lyon, le Stade Toulousain, l'Aviron bayonnais et l'USA Perpignan ayant gouté aux aussi aux joies du Bouclier.
Le Stade Français aura résisté dans les premières années du siècle mais ne remportera plus un seul titre entre 1908 et 1998. Le rugby du Sud prend son envol...